Dans mon métier, je cotoie un grand nombre de gens: des médecins, des infirmières, des étudiants, des grands chefs, des aides soignantes..chacun par son expérience m'enrichit chaque jour, pourtant, chacun d'entre eux, ne m'apportera jamais autant que mes patients: ces hommes et femmes que je croise chaque jour, qui perdent souvent leur statut de personne à part entière pour prendre celui de "patient", d'un patient parmi le flot de patients, leur identité souvent laissée de coté, pour rentrer dans "dans un moule", celui du patient lambda..je parle rarement d'eux, car je me pose souvent la question du secret médical, mais aujourd'hui je voudrais leur tirer mon chapeau..
Quand on est médecin, ce que nous avons en tête ce sont les signes cliniques, les recommandations, le traitement, la guérison, mais rarement on se met à la place de ces gens, qui viennent dans cet endroit froid qu'est l'hopital, immense, effrayant, où ils se perdent, où ils rencontrent un nombre infini de gens, qui les piquent, qui les pèsent, qui les sermonent, qui les questionnent puis les questionnent encore.
Ce malade qui entend parler de lui à la 3ème personne, comme s'il était absent, qui a peur, et qui doit laisser sa pudeur et son histoire de coté pour ne montrer de lui que sa maladie, que ses symptomes; pourtant la maladie fait partie de lui, fait partie de son histoire, mais faute de temps (souvent), d'envie (parfois), le médecin, et même l'ensemble du personnel soignant, ne prend pas le temps de découvrir cette histoire, cette vie.
Bien sur, il ne faut pas croire que "les hommes en blanc", sont des personnes insensibles, qui veulent soigner le mal et pas toujours "les maux", non, au contraire; mais tellement de gens défilent, passent sous nos yeux, guérissent parfois, mais parfois pas, en intégrant leur histoire on se perd un peu, la sympathie, l'empathie, la tristesse parfois prennent le pas sur le raisonnement, sur l'objectivité, et on dérive vers une attitude qui ressemble plus à de la pitié qu'à des soins.
Pourtant, très souvent, je suis touchée de plein fouet par les bribes de leur vie, par la douleur qui les déchire, par tout ce qu'il laisse de coté pour se soigner même si leur mal leur semble dérisoire par rapport à tout le reste, à tout ce qui ne se soigne pas avec des médicaments.
Alors, souvent je m'attarde, et j'entends et j'écoute et je me dit quel courage, quel acharnement..
Aujourd'hui, "une patiente" en quelques mots nous a confié le drame de sa vie, ce qui l'a brisée, quelques mots ont suffit, pourtant elle aurait eu tant de plus à dire, sur ces enfants, les 3 qu'elle a perdu dans un accident de voiture, et la 4ème, celle qui s'est jetée avec son bébé du haut d'une falaise, et ce matin, j'ai vu que nous tous, en blanc autour d'elle, nous sommes incapables de soigner cette déchirure, nous sommes même incapables de rajouter un mot, de montrer notre compassion.
Je me souviens aussi, de tous ces enfants que j'ai croisé, malades, en face de rémission ou en phase terminale, tous ces enfants qui avaient le sourire, malgré la peur, la douleur, je me sentais si souvent plus faible qu'eux, moins courageuse..
J'espère qu'un jour les médécins soigneront tous les maux de nos patients ces héros...
PS: ma prochaine sortie ciné: